« À l’égard de la terre salique, aucune portion de l’hérédité ne sera recueillie par les femmes ; mais l’hérédité tout entière sera dévolue aux mâles. » Article 6, Titre LXII, Des Aleux, VIème siècle
C’est au XVème siècle que cet article du VIème siècle fut exhumé et modifié pour justifier l’interdiction faite aux femmes de régner en France. La loi salique est une invention, c’est-à-dire une construction a posteriori d’une soi-disant vérité historique ancrée dans l’imaginaire collectif. En effet, l'Article 6 n’avait initialement aucun lien avec l’éviction des femmes du trône de France. Cette loi, purement misogyne, relègue l’influence et le pouvoir des femmes au rang de régentes ou de favorites.
Au début du XXème siècle, une fois la République à son apogée, la loi salique continue de sévir : les différentes constitutions républicaines interdisent aux femmes de se présenter et de voter jusqu’en 1944. Malgré les progrès opérés depuis les campagnes de parité dans les institutions, la France demeure « un sanctuaire pour la perpétuation de la suprématie masculine ».[1]
Copie manuscrite sur vélin du VIIIe siècle de la loi salique. Paris, Bibliothèque nationale de France.
Qu’est-ce que la loi salique ?
La première rédaction du Pactus Legis Salicae (loi salique) intervient à la fin du règne de Clovis au début du VIème siècle. Ce code de loi, en 65 titres, énumère les amendes qui visent à mettre fin aux litiges entre différentes familles. Tous les peuples « barbares » se sont dotés de tels codes dont les Burgondes, les Francs Ripuaires, les Wisigoths et les Francs Saliens. L’organisation du pouvoir et la succession au trône n’est pas mentionné. L’article 59, De Alode ou De alodis, fait référence à l’héritage des personnes décédées sans héritage : « Quant à la terre, qu’aucune portion n’échoie aux femmes, mais qu’elle aille toute au sexe masculin[2] ». On observe une avancée du système patriarcal sous les Carolingiens avec l’apparition de l’article 6, du titre 62 : « À l’égard de la terre salique, aucune portion de l’hérédité ne sera recueillie par les femmes ; mais l’hérédité tout entière sera dévolue aux mâles ».
Historique de la loi salique
Plusieurs femmes exercent le pouvoir sans problème avec leurs époux ou au nom de leur époux, frère ou fils sous les Mérovingiens et Carolingiens. Clothilde (474 – 545), épouse de Clovis, supervise le partage du royaume entre ses fils. Les douze années de paix qui suivent suggèrent qu’elle a une grande influence sur ses trois fils. Frédégonde devient veuve en 584 alors que son fils n’est pas en âge de régner. Elle joue un rôle fondamental dans la période de guerre entre les rois francs. Nous pouvons aussi citer la reine Bathilde, qui, au VIIème siècle, exerce la régence au nom de son fils. De surcroît, avant 843, date du partage du territoire entre les trois fils de Louis le Pieux, aucune loi n’est mise au point pour transmettre la couronne au fils aîné. Il y a donc de nombreuses guerres avec de nombreux partages du territoire et aucune règle pour organiser le partage du royaume.
Puis, pour la première fois depuis des siècles, un roi meurt sans héritier mâle. Louis X le Hutin laisse ainsi le pouvoir à sa fille Jeanne de France en 1316. Elle est évincée du trône par son oncle, Philippe V le Long. Ce dernier cherche une justification légitimant l'exhérédation de Jeanne. L’Église ne trouve cependant rien qui puisse justifier cette éviction. Elle formule l’idée que Jeanne est la petite-fille de Philippe le Bel, alors que Philippe est son fils ; il est donc plus près d'un degré du dernier grand roi. Le chroniqueur Jean Froissart commente en 1316 cette exclusion : « Le royaume de France est trop noble pour aller à femelle ».
En 1322, Philippe V meurt, laissant pour héritières du trône plusieurs filles. Néanmoins c’est son dernier frère, Charles qui récupère le trône. Quelques années plus tard, même scénario, Charles IV décède avec plusieurs héritières mais c’est Philippe VI qui devient roi. Aucune justification n’est apportée. En 1358, un moine de Saint-Denis trouve une version de la loi dans les archives de son abbaye. Quelques pages plus loin, il remarque les généalogies royales qui mettent en évidence la succession de monarque mâles[3]. Tout au long du siècle, l’idée que la loi salique relève d’une « coutume française » fait son chemin.
Au siècle suivant, Jean de Montreuil, prévôt de Lille, remet au goût du jour la loi salique. Il est notamment impliqué dans l’affaire de la Querelle de la Rose - suite à la publication de son Roman de la Rose, ouvrage misogyne - face à Christine de Pizan (écrivaine féministe de l'époque). Il utilise à plusieurs reprises la loi salique comme argument dans ses écrits. C’est par ailleurs lui qui va substituer le mot « regnum » au mot « terra ». Ce changement modifie considérablement la compréhension de la loi, puisqu’il indique l’exclusion des femmes au trône et justifie les prises de positions des rois précédent.
En 1483, Anne de France, fille de Louis XI exerce la régence du royaume de France au nom de son petit-frère. Durant cette période, elle est considérée comme l'une des femmes les plus puissantes d'Europe et est surnommée « Madame la Grande ». Coïncidence, la même année est imprimée à Rouen La loi salique, première loi des Français. Cette loi est réimprimée à plusieurs reprises, notamment durant les périodes où on envisage de confier la couronne à des femmes. C’est notamment le cas en 1522 sous le règne de Louise de Savoie, en 1541 avec Anne de Pisseleu, duchesse d'Étampe et favorite de François Ier. Durant tout le XVIème siècle, des savants remettent toutefois en cause la loi salique. L’idée selon laquelle la loi salique serait une invention fait son chemin chez les intellectuels. Néanmoins, à la fin du XVIème siècle de nombreux pamphlets circulent à l’encontre de la régente Catherine de Médicis et appellent à la l’union sacrée autour de « notre loi salique ».
Suite à l’assassinat d’Henri III en 1595, qui meurt sans descendance, la loi salique est utilisée en faveur d’Henri IV, ex-roi de Navarre. À cette époque, la loi salique est bien connue, Henri IV fait payer des propagandistes pour faire savoir qu’il est roi en fonction de la loi.
Au XVème siècle, la loi salique est parfaitement intégrée dans les esprits. Elle est célébrée comme l’incarnation de la grandeur de la France, le seul pays d’Europe à n’avoir jamais toléré la « gynécocratie[4] ». Parallèlement, la plupart des pays et des principautés sont dirigés à un moment ou à un autre par une femme : Christine devient reine de Suède en 1632, Isabelle Ière est reine d’Aragon à partir de 1479, Anne d’Angleterre obtient la couronne en 1707, et la liste est encore longue…Le siècle des Lumières (XVIIIème siècle) n'a pas non plus fait avancer la cause des femmes en France. Les penseurs et les savants polémisent sur la loi salique. Simultanément, la disparition des femmes et des régentes du pouvoir n’aide pas à l’éviction de la loi.
Progressivement, on ne parle plus de la loi salique tant l’idée que les femmes ne peuvent pas régner est ancrée dans les esprits français. La Révolution Française sape les espérances de liberté et d’égalité pour les femmes avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui exclue les femmes de la sphère publique. En 1804, la constitution impériale promulguée par Napoléon Bonaparte évoque : « La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon Bonaparte, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance ». Aucune femme ne peut espérer régner en son nom. Lors de la constitution de la IIIème siècle République, les principes ne changent guère puisque « La Chambre des Députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions déterminées par la loi électorale ». Ce suffrage universel est réservé seulement aux hommes en 1848.
Pour finir, le XXème siècle est le siècle du changement avec l’obtention de nombreux droits pour les femmes, sans pour autant dire qu’elles accèdent à des postes de pouvoirs. Lors du Front populaire en 1936, le président du conseil, Léon Blum, nomme dans son premier gouvernement trois femmes au poste de secrétaire d’Etat : Cécile Brunschvicg, Suzanne Lacore et Irène Joliot-Curie. Leur vote ne compte néanmoins pas au conseil des ministres. Il faut attendre le 15 mai 1991 pour qu’une femme, Edith Cresson, accède au poste de Première ministre en France. Elle est par ailleurs la seule femme à avoir exercé cette fonction. Sans surprise, les propos sexistes à son égard sont nombreux. Elle est surnommée « la Pompadour » en référence à la maîtresse de Louis XV.
La loi salique : à l’origine des inégalités de pouvoir au sein de la société ?
La loi salique a condamné les femmes à un rôle non politique. On peut dès lors se demander si la représentation des femmes en politique aujourd’hui ne découle pas de l’application abusive de cette loi. La France n’ayant jamais connu de femmes dirigeantes, à quelques exceptions près, il est difficile d’instaurer l’idée qu’une femme puisse exercer le pouvoir puisque nous n’avons pas d’exemple historique.
Si l’on prend l’exemple du Royaume-Uni, deux femmes ont exercé en tant que Première Ministre au cours de l’histoire. Le Royaume-Uni est l’un des premiers pays à faire entrer une femme au gouvernement en 1929 avec l’élection de Margaret Bondfield, ministre du travail. On note aussi que ce pays a eu de nombreuses reines influentes : Marie Ier, Elizabeth Ier, Anne d’Angleterre, la Reine Victoria etc. La succession au trône britannique, avant 2011, mettait en avant le fils légitime le plus âgé du souverain. En l’absence de garçon, une fille pouvait prétendre au trône.
L’obtention tardive du droit de vote a considérablement freiné l’ascension des femmes à des postes de pouvoir en France. À l’inverse, rappelons qu’en 1906 la Finlande adopte le suffrage universel et dix-neuf femmes sont élues députées la même année. Ce sont les premières au monde. C’est également en Finlande que l’on trouve aujourd’hui la plus jeune Première Ministre du monde, Sanna Marin, élue en décembre 2019.
Il y a sans doute d’autres éléments, historiques et culturels, qui sont un obstacle à l’accès au pouvoir des femmes aujourd’hui en France. Cependant, l’ancrage de la loi salique dans le champ politique jusqu’au milieu du XIXème siècle explique en partie cette timide présence des femmes à des postes de pouvoir.
La loi salique et ses applications sont mentionnées dans notre visite féministe "Les femmes révoltées" à Paris, organisée par Feminists in the City qui a lieu tous les samedis.
[1] Eliane Viennot, La loi Salique [en ligne : http://www.elianeviennot.fr/FFP-loi-salique.html]
[2] Eliane Viennot, La France, Les femmes et le pouvoir : l’Invention de la loi salique, Volume II, Perrin, 2006, p. 33.
[3] Ibid., p. 133.
[4] Ibid., p. 11.