Il faut attendre les années 1980 pour que l’œuvre de Christine de Pizan (Pisan dans les textes anciens) soit redécouverte et mise en lumière. Philosophesse et poétesse, Christine de Pizan (1364-1430) est la première écrivaine française connue à vivre de sa plume. Son ouvrage La Cité des Dames constitue à ce jour, le premier manifeste féministe occidental.
Christine de Pizan (1407)
Christine de Pizan naît à Venice en 1364. De part son père, Thomas de Pizan, médecin du roi Charles V, elle reçoit une éducation très riche : elle étudie la musique, la poésie ainsi que le français, l’italien et le latin. C’est d’ailleurs à la cour du roi qu’elle commence sa carrière d’écrivaine en composant des pièces lyriques qui lui valent l’admiration de la noblesse. Christine cesse d’étudier pour suivre les occupations qui lui sont assignées : à l’âge de 15 ans elle se marie à Etienne Castel, secrétaire du roi. Ce mariage est décrit par l’autrice comme un mariage heureux. Trois enfants naissent de cette union.
Les années 1380 sont cependant un tournant pour Christine de Pizan. Son père et son mari décèdent à quelques mois d’intervalle, vraisemblablement en 1387, laissant alors Christine seule avec toute une famille à charge. Durant quatorze ans, elle enchaîne plusieurs procès (liés à ses dettes familiales) en se défendant seule. Elle choisit ensuite de consacrer sa vie à la littérature, faisant d’elle la première écrivaine française à vivre de sa plume. Elle décide également d’aller à contre-courant des coutumes de l’époque en choisissant de rester célibataire et de subvenir aux besoins de sa famille par ses propres moyens.
Christine de Pizan est impliquée dans le débat sur le Roman de la Rose (œuvre de Jean de Meun, profondément misogyne) entre 1401 et 1405. C’est notamment cet ouvrage qui lui donnera l’envie d’écrire sur la condition des femmes. Christine dénonce l’indécence des propos et défend l’honneur des femmes qualifiées de débauchées par nature. La Cité des dames, écrit entre décembre 1404 et avril 1405 est parfois considérée comme un ouvrage « pré-féministe ». Christine entreprend dans ce livre de revaloriser la condition féminine en parlant des femmes illustres et vertueuses.
Sa cité est métaphorique et le dialogue entre les trois dames démontrent la dignité des femmes. La Raison est évoquée d’abord pour rejeter les « sales pierres grossières et noires[1] » c’est-à-dire idées fausses reçues sur les femmes que l’on trouve chez Cicéron et Ovide par exemple. Les pierres seront remplacées par des « belles pierres reluisantes » qui sont les femmes illustres de l’Antiquité au temps présent. La Droiture prend place à la Raison qui doit construire la ville avec des vertus féminines. Justice est évoquée pour couvrir la cité avec des toitures en y amenant la Vierge-Marie. Avec cet ouvrage, Christine démontre que « Dieu n’a point eu, et n’a pas en réprobation le sexe féminin pas plus que celui des hommes[2]».
Femmes et hommes sont donc égaux devant Dieu mais pas dans la société parisienne du XVème siècle. Dans le livre II, Christine de Pizan énumère toutes les vertus que possèdent les femmes, comme le dévouement, la discrétion, la chasteté, le courage et la générosité. Pour elle « il n’est pas nécessaire à la chose publique qu’elles se mêlent de ce qui est l’affaire des hommes. Il suffit qu’elles s’acquittent de l’office qui leur revient [3]». Ainsi, les femmes doivent rester dans le rôle qui leur est assigné à la naissance. Toutefois, si les femmes ne font pas la guerre ce n’est pas qu’elles n’en sont pas capables, elles sont toutes aussi courageuses que les hommes. Christine raconte les histoires des Amazones, ces guerrières redoutables. Pour ce qui est de la justice, les femmes ne font pas parties du Parlement certes, mais elles ne manquent pas de compétences pour la politique et la justice.
Elle illustre son propos par l’histoire de France qui est riche de femmes exemplaires : Frédégonde, Blanche de Castille, Marie de Blois etc. Christine de Pizan prend ensuite très à cœur la question de l’éducation des femmes. Si elles ne sont pas autant savantes que les hommes c’est parce que premièrement elles ne vont pas à l’école. Il existe quelques écoles dans Paris au XVème siècle, mais trop peu pour que toutes les petites filles soient éduquées. De plus, les cours enseignés ne leur permettent pas d’acquérir des connaissances suffisantes pour se confronter aux garçons. Une fois jeunes femmes, elles sont occupées aux affaires de la maison et ne peuvent mettre en pratique ce qu’elles ont appris – si elles se sont déjà instruites.
Hommes et femmes sont donc tout autant intelligents de nature et peuvent tout deux acquérir du savoir s’ils en ont l’occasion. Christine prend un exemple notable : les hommes des campagnes sont « simples » car eux non plus n’ont pas eu la chance d’apprendre. Pourtant ils ont un corps constitué attributs masculins et d’intelligence tout comme les plus « sages et les plus experts » qui vivent dans les villes.
Il est évident que Christine de Pizan n’est pas féministe au sens moderne du terme. Les féminismes évoluent sans cesse, notamment par l’apport d’écrits d’époques distinctes. Il est alors approprié de lire Christine de Pizan dans son contexte. Son travail est révolutionnaire pour l'époque, et apporte un regard nouveau sur la condition féminine de son temps. Alors que 98 % des femmes de son époque étaient analphabètes, elle est devenue la première à vivre de sa plume.
On lui reproche aujourd'hui l'aspect essentialiste de sa théorie : femmes et hommes possèdent des attributs essentiels qui découlent de leur biologie. C’est notamment ce qu’elle tente de démontrer dans le livre II de La Cité des Dames. De plus, elle ne remet pas en cause la structure patriarcale de l’époque dans laquelle elle vit. Cette thèse est développée par l’historienne méconnue Mathilde Laigle (1865-1949). Dans sa monographie Les Trois Vertus (1912), l’autrice montre que Christine défend uniquement les femmes attaquées par la misogynes de l’époque : « je ne sais pas le sens exact qu'on attache à ce mot de féminisme à propos de Christine, mais, d'après le Livre des Trois Vertus, les revendications qu'elle propose sont toutes dictées par le respect de l'usage, la pratique des devoirs, le culte de l'honneur, tels qu'une femme sensée et vertueuse les concevait au XVe siècle[4] ».
Néanmoins, il existe réellement une pensée « pré-féministe » chez Christine de Pizan. Elle prend conscience du déterminisme dans lequel les femmes de l’époque sont enfermées dès leur naissance et avance que les femmes sont dotées d’une intelligence qui doit être développée par le biais d’une éducation semblable à celle des hommes. La Cité des Dames aborde de nombreux thèmes qui seront au cœur des débats féministes les siècles suivants.
Sources :
[1] Laigle Mathilde, Le livre des trois vertus de Christine de Pisan et son milieu historique et littéraire, p. 120.
[2] Ibid., p. 383.
[3] Ibid., p. 391.
[4] Autrand Françoise, Christine de Pizan, Fayard, 2009, p. 384.