Féminisme et écologie: même combat ?
Par Aude Barthe, pour Feminists in the City
Il n’est pas rare de trouver des pancartes mêlant féminisme et écologie lors des diverses marches pour le climat organisées partout en France : « Nique pas ta mer ! », « Le patriarcat et le capitalisme détruisent la planète, changeons de système ! » etc. Le 8 mars 2019, Greta Thunberg met d’ailleurs en perspective ces deux mouvements : « Plus je lis sur la crise du climat, plus je réalise à quel point le féminisme est crucial. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde durable sans égalité entre les genres et les personnes ».
Si certain.e.s n’y voit aucuns liens, féminisme et écologie sont pourtant bel et bien liés. Cette fusion porte le nom d’écoféminisme.
Qu'est-ce que l'écoféminisme ?
L’écoféminisme peut être décrit comme un mouvement ou une philosophie qui met en parallèle deux formes de domination : celle des humains sur la nature ainsi que celle des hommes sur les femmes. Ce mouvement interdisciplinaire cherche à réhabiliter la place des femmes dans la société par le biais de la préservation de la nature. Pour cela, plusieurs champs d’actions sont préconisés : la littérature, le militantisme et la recherche universitaire.
La notion d’écoféminisme ne date pas d’hier. Au XVIIIème siècle de nombreuses femmes sont engagées pour la protection de la nature. Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l’environnement nous donne l’exemple de l’autrice Mary Wollstonecraft (1759-1797), l’une des premières féministes de l’histoire et défenseuse des animaux.
Au XIXème siècles, nombreuses sont les autrices qui mettent sur le même plan souffrance animale et souffrance des femmes. La protection de l’environnement passe en premier lieu par la défense des animaux, ainsi de nombreuses sociétés de protection sont créées en Europe et aux États-Unis. Ces associations sont majoritairement féminines même si les hauts postes sont occupés… par des hommes!
À la fin des années 1950, Rachel Carson, biologiste américaine milite contre l’interdiction des pesticides aux États-Unis. Elle publie en 1962, Printemps silencieux (Silent Spring) qui connaît un très grand succès. Le livre conduit à l’interdiction nationale du DDT et d’autres pesticides. Néanmoins, son militantisme sera fortement critiqué du fait de son genre : les femmes étant perçues comme incapables de juger scientifiquement des questions. Au XXème siècle, l’Amérique est agitée par des vagues de contestations anti-nucléaire.
Depuis, on observe une véritable convergence des luttes avec des femmes bien plus présentes dans les manifestations : l’encerclement du Pentagone en 1980 par 2000 femmes, le blocus d’une centrale nucléaire en Californie une année plus tard etc. De 1981 à 2000, un grand camp écoféministe est installé à Greenham Common en Angleterre contre l’installation des missiles nucléaires. Si le mouvement trouve écho surtout aux États-Unis et au Royaume-Uni, le concept est introduit en France par la féministe française Françoise d’Eaubonne en 1974. Dans son ouvrage Le féminisme ou la mort elle reprend les fondements exposés par Rachel Carson. Pour Françoise d’Eaubonne il est « utile de confier les soins du sauvetage planétaire au courant de libération des femmes – non en vertu de ‘valeurs féminines’ plus ou moins imaginaires, mais de la part spécifique que la patriarcat réserve au deuxième sexe ». Ces vertus ‘féminines’ dont parle Françoise d’Eaubonne fait référence au courant essentialiste, souvent reproché aux écoféministes françaises. C’est la critique faite par Carolyn Merchant qui rejette l’idée selon laquelle « les femmes auraient un savoir spécial de la nature, ou des capacités spéciales pour en prendre soin[1] ».
Une diversité d'approches
Il n’existe pas un écoféminisme mais plusieurs : un écoféminisme qui s’attache à l’étude du « care » qui vise à se soucier de la planète et de vivre en relation avec elle et non contre elle. Un écoféminisme plus « profond » qui fait référence aux mythes fondateurs et qui vise à reconnecter plus fortement l’Homme à la nature. Un courant rapprochant domination patriarcale et capitalisme ainsi qu’un autre, plus spirituel s’attache à unifier spiritualité et politique. Ces deux courants se reconnaissent dans la figure de la sorcière, que nous retrouvons lors de notre visite guidée féministe "la chasse aux sorcières" (Paris/Bordeaux). Enfin, il existe un dernier type d’écoféminisme localisé dans les pays du sud où les changements climatiques ont un plus gros impact sur les populations.
Les théoriciennes écoféministes font le lien entre destruction de la nature et domination patriarcale. Pour certaines, le capitalisme est la clé de ces deux sortes d’oppressions. Selon Silvia Federici, autrice de Caliban et la Sorcière et de Capitalisme patriarcal le capitalisme serait un système qui s’enrichirait au détriment de la nature. La mise en place de grandes industries, principalement dirigés par des hommes ignoreraient les questions environnementales. Cette place dominante de l’homme sur la nature se retrouve dans le système patriarcal dans lequel nous vivons. Femmes et nature ont donc une position de dominées.
Cette double domination s’observe dans l’histoire occidentale. La chasse aux sorcières débutée au Moyen-Âge et intensifiée au XVème et XVIème siècle est le point culminant de cette violence patriarcale. Silvia Federici évoque ainsi l’image des sorcières, ces femmes en marge de la société capitaliste dont nous avons aujourd’hui une image négative. Mona Chollet dans son livre Sorcières : la puissance invaincue des femmes démontre aussi que cette chasse à façonné le monde patriarcal actuel, dans lequel la nature et les femmes sont aux mains des hommes. Les sorcières donnaient une place particulière à la nature, elles étaient soignantes ou herboristes et entretenaient un rapport de respect entre le corps et l’environnement. Elles étaient à contre-courant de la médecine traditionnelle portée par les hommes.
Aujourd’hui, certaines écoféministes se revendiquent sorcières. C’est la cas de Starhawk, dont l’essai Rêver l’obscur : femmes, magie et politique, paru aux États-Unis en 1982 (2015 en France) est une œuvre majeure pour le courant écoféministe. Théoricienne du néopaganisme, militante écologiste et féministe, Starhawk accorde une grande importance aux plantes et à la médecine naturelle. Tout comme Silvia Federici, Starhawk rapproche l’image de la sorcière comme victime du capitalisme : « les bûchers ont créé les conditions du développement du capitalisme au XVIe siècle », écrit Starhawk.
L’écoféminisme, un sujet occidental ?
C’est un fait, les femmes sont plus touchées par le réchauffement climatique que les hommes. Et on l’observe d’autant plus dans les pays en développement. L’ONU rapporte que les « sécheresses, désertification, inondations sont aussi autant de menaces sur les activités agricoles dont les femmes ont majoritairement la charge, alors même qu’elles produisent dans certains pays jusqu’à 80 % de l’alimentation. Quand une catastrophe naturelle frappe une région, le risque de décès est 14 fois plus élevé pour les femmes ».
L’exemple le plus parlant reste le tsunami de 2004 dans l’Océan indien. Selon l’ONU, parmi 200, 000 mort.e.s du tsunami, 80% des victimes étaient des femmes. Pendant que les hommes travaillaient en ville, les femmes s’occupaient de leur famille dans les zones rurales ou déchargeaient des bateaux de pêches. Pour la plupart, elles ne savaient pas nager ni grimper aux arbres pour échapper à la montée rapide des eaux. Ce sont également les femmes qui ont été laissées de côté durant la Révolution Verte dans les années 1960-90. N’ayant pas accès aux machines ni aux formations, elles finissent par être des travailleuses précaires et sont plus exposées aux pesticides. Les activités des femmes visant à prendre soin de leur entourage (aller chercher de l’eau ou du bois) sont compromises par les déforestations et les sécheresses répétitives ainsi que par l’industrialisation.
Plusieurs mouvements de femmes dans les pays du Sud luttent pour défendre ces activités traditionnelles. C’est notamment le cas de Vandana Shiva, qui fonde en 1991 l’association Naydanya qui a pour but de mettre en avant l’agriculture biologique. Elle reçoit le prix Nobel alternatif en 1993 pour « pour avoir placé les femmes et l'écologie au cœur du discours sur le développement moderne ». Au Kenya le mouvement Green Belt fondé par Wangari Maathai propose aux femmes de planter des arbres aux abords des villages pour lutter contre la déforestations massives. Elle reçoit le prix Nobel de la paix en 1977 pour cette action.
Parce que l’écoféminisme est un large sujet d’étude voici quelques pistes de lectures pour aller plus loin :
- Nora Bouazzouni, « Comment l'impératif écologique aliène les femmes », 22 août 2019, Slate.fr, À lire sur : http://www.slate.fr/story/180714/ecologie-feminisme-alienation-charge-morale
- Vandana Shiva Interview about Ecofeminism, https://www.youtube.com/watch?time_continue=3&v=fM8TLXjpWk4&feature=emb_logo
- Caroline Goldblum, Françoise d'Eaubonne et l'Ecofeminisme, , Le Passager Clandestin, 2019
- Emilie Hache, Reclaim : Recueil de textes écoféministes, Cambourakis, 2016.
- Silvia Federici, Le capitalisme patriarcal, la Fabrique Editions, 2019.