Quand on souhaite en savoir plus sur le féminisme, on peut avoir tendance à se tourner vers des essais, puis à les abandonner sur sa table de nuit au bout de quelques pages. Alors pourquoi ne pas se plonger dans un bon roman ou une pièce de théâtre ? Certaines œuvres de fiction offrent un éclairage tout à fait juste sur les inégalités entre les genres et la condition des femmes. Feminists in the City vous en a sélectionné quelques-unes à (re)lire cet été !
1. Orlando, de Virginia Woolf – 1928
Orlando, membre de la noblesse et favori de la Reine Elisabeth I, au XVIème siècle, devenu ambassadeur de Constantinople, se réveille vers l’âge de trente ans, métamorphosé en femme. Orlando accepte ce changement et l’apprécie même, vivant pendant plus de 300 ans en tant que femme et devenant une écrivaine célèbre. Mettant en scène une figure transgenre rayonnante, ce roman offre une réflexion sur le genre et et fait écho à la relation entre Virginia Woolf et Vita Sackville-West, écrivaine et poétesse anglaise, qui n’hésitait pas à se travestir pour sortir en ville.
Orlando, par Virginia Woolf, biblio Le Livre de Poche
2. Miss Islande, d’Audur Ava Ólafsdóttir – 2018
Nous sommes en 1963 et suivons les pas d’Hekla, jeune écrivaine islandaise de 21 ans, des Dalirs à la capitale, Reykjavik. Déjà publiée dans plusieurs journaux renommés, elle retrouve ses deux meilleurs amis. Jón John souffre de ne pas être accepté par la société islandaise en raison de son homosexualité. Isey, elle, s’est mariée lorsqu’elle s’est retrouvée enceinte et se plie aux conventions sociales, noircissant des pages dans son carnet tout en s’occupant de sa fille et de son appartement, dans lequel ne s’infiltre pas un seul rayon de soleil en hiver. Ce roman, à travers la plume poétique d’Audur Ava Ólafsdóttir, nous permet de réfléchir à la condition des femmes dans les pays nordiques dans les années 60.
Miss Islande par Audur Ava Olafsdottir, Editions Zulma
3. La nuit des béguines, d’Aline Kiner – 2017
Ce roman nous transporte dans la France de 1310, dans le Béguinage de Paris, où des béguines, ces femmes libres, veuves ou célibataires, vivaient ensemble, formant une communauté laïque exclusivement féminine. Affranchies de toute domination masculine et jouissant d’un statut exceptionnel, abordé lors de la visite sur les femmes révoltées de Paris, les béguines ne sont pas vues d’un très bon œil par l’Eglise, qui les condamne pour « fausse piété et hérésie » en 1310. C’est ce brusque déclin de la figure de la béguine qu’Aline Kiner raconte dans ce livre, à travers l’histoire d’une sororité inspirante et intergénérationnelle.
La nuit des béguines, d’Aline Kiner, Liana Levi
4. Swing Time, de Zadie Smith – 2016
Cinquième roman de Zadie Smith, étoile montante de la littérature anglaise, il raconte l’histoire d’une amitié fusionnelle et destructrice entre deux jeunes filles métisses dans le Londres invisible des quartiers populaires, deux passionnées de danse que tout unit et sépare. L’histoire les suit jusqu’à l’âge adulte, à travers des chemins différents mais qui nous donnent matière à réfléchir sur la société anglaise d’un point de vue de l’intersectionnalité.
Swing Time, de Zadie Smith, Penguin
5. Milkman, d'Anna Burns – 2018
Dans une ville nord-irlandaise, sûrement Belfast, au cœur des conflits qui ont marqué l’Irlande du Nord pendant la seconde moitié du XXème siècle, nous suivons l’histoire de la narratrice, connue en tant que « sœur cadette ». Férue de lecture, qui lit en marchant, sa personnalité détonne au sein d’une société misogyne et avide de rumeurs, qui vit sous couvert de bienséance, alors même que son quotidien est marqué par les bombes et les exécutions sommaires. Harcelée sexuellement par un homme plus âgé qu’elle, Milkman, la narratrice nous propose une réflexion puissante sur la condition des femmes dans une société violente où le contrôle social s’effectue par la peur.
Milkman, d'Anna Burns, Faber & Faber
6. La perle et la coquille, de Nadia Hashimi – 2014
Ce roman se déroule à Kaboul, en Afghanistan, et raconte l’histoire de deux femmes d’exception, Shekiba et Rahima, que cent ans sépare. Rahima, notre contemporaine, devient bacha posh pendant son enfance. Cette tradition permet aux familles n’ayant pas de descendant masculin de travestir une de leurs filles : elle accède alors à un monde interdit aux femmes et notamment à l’éducation. Mais cette situation n’est qu’éphémère, et la puberté de Rahima la prive de sa liberté : sa tante lui raconte alors l’histoire de son aïeule, Shekiba, dont le destin fait écho à sa propre condition, et à celle de tant de femmes en Afghanistan.
La perle et la coquille, de Nadia Hashimi, Milady
7. Moi, Tituba sorcière..., de Maryse Condé –1988
Dans ce roman basé sur une histoire réelle, celle de Tituba, l’une des femmes accusées d’être une sorcière pendant les procès de Salem de 1692, nous entrons dans l’intimité de la société puritaine américaine du XVIIème siècle, qui a brûlé tant de femmes pour de supposés faits de sorcellerie. Esclave venue de la Barbade, initiée au vaudou qu’elle utilise pour guérir les maux et les blessures, Tituba est vendue à un Pasteur obsédé par le Malin. Cible idéale pour une société raciste tombée dans une psychose collective, Tituba est un exemple de force et de résilience face à l’adversité.
Moi, Tituba sorcière..., de Maryse Condé, folio
8. La Servante écarlate et Les Testaments, de Margaret Atwood – 1985 & 2019
La Servante écarlate, dystopie écrite il y a 35 ans, résonne intensément aujourd’hui et a reçu un succès tardif mais amplement mérité. Depuis adaptée en série, avec la brillante Elisabeth Moss dans le rôle principal, l’histoire nous plonge dans le quotidien de June, devenue Offred, esclave sexuelle dont le seul but, au sein de la société de Gilead, est de donner naissance à des enfants pour autrui.
Les Testaments se déroule quinze ans après les évènements du premier tome, dans une République de Gilead chancelante. Margaret Atwood, à travers l’histoire de trois femmes, nous offre un aperçu unique au sein de Gilead et nous permet de nous replonger dans ce monde à la fois terrifiant et fascinant, qui nous tient en haleine page après page, et épisode après épisode pour celles et ceux qui regardent la série.
Les Testaments, de Margaret Atwood, Robert Laffont
9. Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie – 2013
Ifemelu, jeune femme nigériane, quitte Lagos pour Philadelphie, où elle va poursuivre ses études et vivre pendant une quinzaine d’années. Ecrit par l’autrice de We should all be feminists, ce roman nous permet d’appréhender le racisme au sein de la société américaine, à travers les yeux d’une héroïne qui cherche péniblement à s’y intégrer. A travers son blog, ses propres expériences, les liens qu’elle tisse avec d’autres personnages tout aussi intéressants, Ifemelu nous permet de réfléchir aux notions d’identité, de culture, tout comme à l’amour de soi et à la condition des femmes noires.
Americanah, de Chimamanda Ngozi Adichie, folio
10. Une maison de poupée d’Henrik Ibsen – 1879
Nora, l’héroïne de cette pièce de théâtre, a commis un délit pour pouvoir emmener son mari en Italie, se faire soigner d’une maladie. Alors qu’un homme révèle tout à son mari, celui-ci, qui la traite comme sa subordonnée, son « alouette », réagit brutalement et dénigre entièrement son acte. Nora, comprenant alors la condition inférieure que son mari lui impose au sein de leur mariage, du fait qu’elle est une femme, s’élève contre celle-ci et le quitte.
Henrik Ibsen avait été influencé par le combat de son épouse, Suzannah Ibsen, pour les droits des femmes et était conscient des inégalités entre les genres : cette pièce avait provoqué un scandale dans toute l’Europe et fait l’objet de censure et d’interdictions. Le personnage de Nora a inspiré de nombreuses féministes et la pièce a été adaptée plusieurs fois au cinéma.
Une maison de poupée d’Henrik Ibsen, Le Livre de Poche