Si l’art dans les musées est fait pour durer, l’art dans les rues est fait pour passer. C’est pour cette raison que nous faisons chaque année un travail de mise à jour de notre visite Feminists in the City Street art & féminisme à la Butte-aux-Cailles (13e arrondissement de Paris), car la rue est en constante évolution. Et cette année, encore une fois, les surprises ont été nombreuses !
Pourquoi la Butte-aux-Cailles ?
Quartier très apprécié des street artistes français-es, le 13ème arrondissement encourage cette pratique artistique parfois contestée et donne aux artistes, surtout des femmes, un endroit calme où travailler la nuit et en plein jour. Le choix du moment où opérer est très variable : il y a celles et ceux qui aiment rester dans l’ombre et se déplacer en groupe en créant de véritables expéditions collectives de collage, et celles et ceux qui préfèrent la possibilité de dialoguer en personne pendant la journée.
Nous avons interviewé des nouveaux visages de la Butte en essayant de comprendre leur poétique et leur rapport avec le féminisme. Ci-dessous nous restituons un aperçu de la vision émergée des paroles des artistes. Plus on pénètre dans ce monde d’art éphémère, plus on s’aperçoit de la diversité de ses facettes et techniques. Les rues du quartier regorgent non seulement de grandes fresques murales commandées par la mairie, mais aussi de centaines de collages, d’autocollants, de pochoirs et des dessins à la bombe aérosol.
En commençant en haut à gauche: Tanala, NBF Street, Lapin Mutant, un collab entre Belaet et Elimo, L’am, Twotma.
La liberté
En grande démocratie, les signatures historiques et affirmées côtoient sur le même mur des artistes émergent-es qui s'intéressent aux potentialités de cette pratique publique après le long confinement du Covid-19. Selon la street artiste Oja, le confinement est complètement lié à l’expansion du street art à Paris. Elle affirme que beaucoup d'artistes ont décidé de se réapproprier ainsi l’espace extérieur qui leur avait été enlevé pendant longtemps. Le sentiment de liberté et la volonté de communiquer des messages positifs et pleins d’espérance ont ainsi conduit de nombreuses artistes dans la rue.
Pour beaucoup, leur art n’est pas leur activité principale mais une forme d’expression personnelle. C’est le cas de Aubi art avec ses danseuses aux pochoirs découpés à la main, symboles de légèreté physique et mentale, mais aussi des sirènes de NBF Street, des statuettes en plâtre ou silhouettes en papier, en courbes douces de queues de poissons. Chaque sirène est devenue porteuse d’un message court, positif et dynamique (oser, briller, avancer, rêver). C’est aussi le but des rêveuses de Belaet, petits collages en papier, pièce unique faites au feutre avec lesquelles l’artiste nous invite à nous échapper de la grisaille quotidienne en gardant notre âme d'enfant.
Regarder avec de nouveaux yeux en se remettant à la hauteur d’un enfant, c'est ce que Babydolls_life fait avec ses photographies de poupées mises en scène devant les grands monuments de Paris, une activité commencée par jeu qui est devenue un moyen d’apporter un moment d’insouciance aux passants. Le travail de Noémie Edel, en art @legrrrandnono, fait également partie de cette réappropriation des espaces urbains. En emmenant ses enfants à l’école, elle réalise que la ville n’a rien d’adapté aux enfants. Alors elle met en place une campagne d’affichage où l’on demande aux enfants de retrouver des monstres imaginaires égarés en stimulant leur imagination : la réponse était extraordinaire, un véritable succès public.
La rue comme muse
La rue représente non seulement un espace d’exposition mais aussi et surtout un lieu d’inspiration primaire. C’est pourquoi des artistes actives depuis de nombreuses années comme Lapin Mutant se sont retrouvées sans inspiration pendant le confinement. Les personnages faits à la bombe aérosol qui remplissent ses œuvres, à l'apparence presque torturée, «représentent la variété des troubles psychologiques inhérents à la société actuelle». Dans son travail, il y a une attitude à ce qu’elle surnomme «maniaco-bordélisme». Elle est inspirée par la rue, le métro, les coins les plus reculés de la ville.
Même inspiration pour Twotma qui, après une longue période à Lisbonne, a décidé de revenir en France pour diffuser sa vision du monde sans utiliser de couleur. Ses scènes en blanc et noir tirent leur origine du quotidien, de ce qui la frappe en marchant dans la rue. Elle a ainsi trouvé le moyen de partager sa vision du monde. Ces petits moments éphémères familiers affluent depuis quelques mois dans les rues de Paris, invitant les passant-es à s’arrêter.
La rue comme lieu pour repenser le corps
La rue représente aussi un lieu politique où mener un travail de visibilisassions des corps des femmes sous des nouvelles perspectives. C’est ce que Red Art Chili Paper fait avec ses grimpeuses urbaines. Projet initié par hasard, Emeline Faugère a commencé à remplir la ville de petites reproductions à l’encre de Chine d’images des plus importantes grimpeuses de la scène internationale. Faisant elle-même de l’escalade, elle donne de la visibilité à des corps féminin pas nécessairement « conformes », musclés, forts et surtout non sexualisés.
Repenser le corps d'une manière non sexualisée, c'est aussi le travail de @Tanalawall qui, dans ses collages aux notes écoféministes, met en relation le corps humain avec le monde végétal en créant une fusion entre le corps et la nature sans se détacher de l’imaginaire tropical de son enfance.
D’autre part, Léonina à travers sa série de portraits abstraits intitulée "Corps des femmes" rend femmage aux personnes qu’elle a rencontrées dans sa vie et qui ont transformé sa démarche.
Melanie Florentina, avec ses portraits photographiques en argentique, rend également femmage aux femmes de sa vie. Elle nous confie que « Elles me disent qu’elles ont souvent été photographiées que par des hommes. J’essaie d’aller au-delà des apparences, de capturer la poésie d’un univers, la gestuelle d’un corps, la vérité d’un regard. C’est très important pour moi qu’elles se sentent libres, épanouies pendant la séance ».
Sur le même mur, en dialogue, trois portraits des femmes par Léonina, Red Art Chili Paper et Erratum
La rue comme boîte à icônes
Les rues de la Butte-aux-Cailles sont également remplies d'icônes pop, des personnages issus des médias de masse. On y trouve des images griffantes et captivantes dont de nombreux artistes semblent subir le charme (voir Priscilla Vettese, Imp-artial, Eugene Barricade et Click).
Génia Akoulova (nom d'artiste @akelo.art) part de la culture des icônes sacrées et crée une nouvelle image de la femme émancipée. Elle dépeint par exemple des femmes aviatrices, métier considéré comme fortement masculin encore aujourd’hui. Nombreuses sont ainsi les artistes femmes à donner de la lumière à des personnages féminins peu racontés en transformant leurs images en icônes visuelles.
La rue comme espace de lutte féministe
Même dans l’univers poétique de L’am se cache un travail féministe. Avec ses femmes aériennes, ses rêveuses de liberté souvent en équilibre précaire, elle essaie de montrer l’importance de la femme dans la société. En revanche, pour Elimo, le féminisme ne se lie pas tant au message de l’œuvre qu’à la pratique d’aller dans la rue, lieu encore fortement masculin. Le travail se fait donc souvent collectif, des groupes de femmes se rencontrent pour coller ensemble en regardant par-dessus leurs épaules : la sororité en pratique !
Enfin, selon la « poétesse urbaine » La Dactylo, une femme qui partage des messages dans la rue, semble être encore aujourd’hui un danger pour les hommes. Elle a nous raconté « Il m’est déjà arrivé sans raison, que des hommes, me voyant pocher dans la rue me traitent de "sale féministe" sans même connaître le message que j’apposais sur le bitume. C’est pourquoi j’aborde certains sujets sociétaux qui me touchent et il reste encore beaucoup à faire, à dire ».
Et nous sommes ici aujourd’hui pour continuer à faire et à dire, ensemble.