« Il est temps d’effectuer une révolution dans les mœurs féminines, il est temps de redonner aux femmes leur dignité perdue et de les faire contribuer en tant que membres de l’espèce humaines, à la réforme du monde. » Mary Wollstonecraft, A Vindication of the Rights of Woman, 1792.
Cette citation, tirée d’un des premiers ouvrages de philosophie féministe occidentale A Vindication of the Rights of Woman (1792), appelle à l’égalité entre les sexes, critique l’institution du mariage et l’éducation différenciée alors donnée aux femmes. Son autrice, la journaliste et femme de lettres Mary Wollstonecraft est née à Spitalfields, dans le Grand Londres en 1759, et décédée en 1797 à Londres. Elle s’est illustrée de par son engagement en faveur de l’éducation des filles dans un pays où les femmes devront attendre les années 1850 avant de disposer d’établissements scolaires convenables au niveau secondaire.
En avance sur son temps d’un demi-siècle, Mary Wollstonecraft dénonce déjà les inégalités d’accès à l’éducation entre les garçons et les filles mais aussi les divergences dans le contenu même de cette éducation.
Une enfance à l'image de son temps.
Fille de fermiers, successivement demoiselle de compagnie, institutrice, gouvernante puis traductrice, la vie de Mary Wollstonecraft reflète bien les difficultés d’une jeune fille dans le Royaume-Uni du XVIIIème. Son père, violent, bat sa mère sous l’emprise de la boisson. Mary s’oppose à son géniteur et, très vite, joue un rôle protecteur au sein de sa famille. Elle organise ainsi la fuite de sa jeune sœur Eliza alors dépressive, loin de son époux et ses enfants. Après avoir quitté le domicile familial qui lui était devenu insupportable, Mary fonde une école aux côtés d’une de ses amies très chères, Fanny Blood, figure d’inspiration de son premier roman Mary : A Fiction paru en 1788. Cette expérience d’immersion directe dans l’éducation la marque de façon fondamentale et inspire sa rédaction du pamphlet Thoughts on the Education of Daughters (1787). Déjà, Mary s’interroge. Elle s’insurge notamment contre l’absence d’opportunités économiques alors offertes aux femmes de son temps.
Une femme qui écrit ?
Après un an en tant que gouvernante, en 1787, Mary Wollstonecraft prend une décision radicale pour l’époque : elle va vivre de sa plume. Elle écrit à sa sœur qu’elle s’efforce de devenir « la première d’un nouveau genre », la première femme capable de subvenir à ses besoins grâce à ses travaux littéraires. Arrivée à Londres, elle est employée par l’éditeur libéral Joseph Johnson et devient critique littéraire pour le périodique Analytical Review.
En 1792, son œuvre majeure est publiée : A Vindication of the Rights of Woman. Mary considère que c’est avant tout la société et l’éducation dispensée aux petites filles qui forment leurs intérêts et leurs attitudes. Elle voit les femmes comme « endoctrinées », des « gentle domestic brutes » et déclare que, sans ces incitations biaisées, ces dernières pourraient se tourner vers un panel d’activités bien moins genrées.
Elle rédige une violente critique à l’encontre des excès de « fausse sensibilité » qui toucheraient les femmes et les handicaperaient, les transformant en « proie de leurs sens ». Ces femmes, alors aveuglées par leurs émotions, ne sauraient comment gérer leurs sentiments et perdraient la raison.
La clé vers une émancipation qui bénéficierait à l’ensemble de la société réside dans une éducation égalitaire dès l’enfance. Cette opinion, véritablement révolutionnaire, crée d’énormes controverses, tout comme son ouvrage Maria, or the Wrongs of Woman, revendiquant la sexualité féminine comme pleine et entière, à l’égale en complexité, désir et appétit à celle de l’homme.
Le travail de Mary Wollstonecraft a cependant une place particulière au sein des écrits féministes modernes. En effet, elle n’énonce pas explicitement que les femmes sont les égales des hommes et va jusqu’à considérer la supériorité physique des hommes comme la preuve divine d’une domination masculine. Sa pensée est cependant reprise par de nombreuses figures du féminisme britannique à l’image de Georges Eliot, qui rédige un essai consacré aux rôles et aux droits des femmes, mettant en parallèle Mary et Margaret Fuller, une militante féministe américaine de la première moitié du XIXème siècle. La suffragette Millicent Fawcett, présidente de l’Union nationale des sociétés pour le suffrage des femmes, présente Mary Wollstonecraft comme l’initiatrice de l’action en faveur du suffrage féminin. Virginia Woolf, de son côté, lui dédie une partie de son essai Four Figures.
Une vie de liberté
Dans ses écrits comme dans sa vie personnelle, Mary a su se soustraire aux carcans féminins. Dans A Vindication of the Rights of Woman, elle refuse la composante sexuelle des relations amoureuses et va proposer au peintre Henry Fuseli, avec qui elle est liée, et à sa femme une relation amoureuse platonique, conception des rapports inédite pour l’époque. Sa première fille, Fanny, est née hors mariage au cours de sa liaison avec l’officier américain Gilbert Imlay. La fin de cette union pousse Mary à tenter par deux fois de se suicider. William Godwin, penseur majeur de la philosophie anarchiste, est le père de sa deuxième fille, Mary. Le couple vit selon une disposition assurant à chacun son autonomie. Ils sont indépendants l’un de l’autre, occupent deux maisons contiguës, communiquent par lettres…
Grande femme au nom trop souvent oublié, Mary Wollstonecraft a marqué son siècle avec sa vie hors des conventions ainsi que son militantisme féministe inédit et plus que précoce. Sa propre fille, Mary Wollstonecraft Godwin, plus connue sous le nom de Mary Shelley, trouve une place tout autant méritée dans la galerie de ces femmes qui ont fait notre histoire en tant que mère du fameux Frankeinstein.
Nous mentionnons régulièrement Mary Wollstonecraft lors de nos visites féministes de Paris, Lyon et Bordeaux.