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Qu'est-ce que le male gaze ?

Par Marie Landrein - Rédactrice Feminists in the City

13 février 2025

Le "male gaze", ou « regard masculin », est un concept introduit en 1975 par la critique de cinéma et réalisatrice britannique Laura Mulvey. Il fait référence à l'imposition du point de vue masculin hétérosexuel par la culture dominante, à travers des supports tels que le cinéma, la publicité, les jeux vidéo, ou encore la littérature.

Résultat direct de notre société patriarcale, ce regard masculin réduit les femmes à des objets de désir. Dans de nombreuses œuvres, le male gaze est omniprésent : les femmes y apparaissent comme des objets sexuels, passives, vulnérables, soumises et destinées à satisfaire les désirs des hommes. Ces désirs masculins sont souvent les moteurs de l'intrigue, actifs et narrateurs de l’action. Quand bien même femme est l'héroïne de l'histoire, elle est souvent dépeinte selon des stéréotypes et des normes de beauté irréalistes.

Cette domination masculine dans le domaine artistique est vivement critiquée par les mouvements féministes. On vous explique.

Quels sont les lieux de représentation du male gaze ?

Le male gaze n’est pas réservé qu’au cinéma et s’invite également dès le plus jeune âge, dans les dessins animés, où les enfants sont confrontés à des représentations de genre stéréotypées.

Tandis que les personnages masculins sont souvent dessinés de manière neutre, les personnages féminins, eux, sont systématiquement accentués par des formes et des traits exagérés tels que des courbes aux hanches et à la poitrine, de longs cils ou des couleurs pastel comme le rose.

Ces choix visuels influencent l’idée que l’apparence des femmes est primordiale, et conditionnent les jeunes spectateurs, en particulier les filles, à se conformer à des normes de beauté irréalistes, perpétuant ainsi un système de représentations limitées, sexistes et inégalitaire

Les mangas sont eux aussi victimes du male gaze. Dans ces œuvres, les protagonistes masculins occupent généralement la place centrale, tandis que les rôles féminins sont relégués à des personnages secondaires, souvent peu développés. Les femmes y sont souvent dépeintes comme faibles, dépendantes des hommes, et leur apparence physique est exagérée et irréaliste. Dans Naruto, Sakura (personnage féminin principal) est dépendante de Naruto et Sasuke (deux personnages masculins principaux) et son rôle se limite à des préocuppations émotionnelles plutôt que des actions héroïques. Tout comme Chi-Chi ou Bulma dans Dragon Ball Z qui sont releguées à des rôles secondaires, limitées à leurs relations avec les hommes.

Les personnages féminins arborent des traits enfantins et une silhouette disproportionnée, avec une taille très fine et une poitrine et des fesses surdimensionnées, ce qui accentue leur sexualisation. Leurs tenues sont souvent révélatrices et peu pratiques, renforçant cette objectification. Ces femmes sont alors présentées non pas comme des personnages complets, mais principalement comme des objets de désir.

De plus, certains mangas minimisent ou banalisent des comportements problématiques comme le harcèlement et les agressions sexuelles. Dans One Piece, par exemple, Sanji adopte un comportement de harcèlement en observant obsessionnellement les femmes et en les réduisant à leur apparence physique. Ce genre de comportement est souvent traité de manière légère, voire comique, ce qui diminue sa gravité. D’autres personnages, comme Absalom, vont plus loin, en commettant des agressions physiques ou en harcelant les femmes de manière flagrante, comme le montre son traitement de Robin et Nami. Ces actes sont parfois traités de façon secondaire ou humoristique, ce qui contribue à normaliser ces violences.

Il existe des exceptions dans le domaine des mangas (tout comme dans les dessins animés) où la représentation de la femme diffère grâce au female gaze. Des œuvres comme L'Attaque des Titans, Jujutsu Kaisen ou Princesse Mononoké des Studio Ghibli mettent en avant des personnages féminins puissants et indépendants, placés au centre de l’intrigue.

De la même manière, le male gaze est omniprésent dans la publicité et les jeux vidéos. Dans les campagnes publicitaires, les femmes sont souvent représentées de manière sexualisée, même lorsque que cela n'a aucun rapport avec le produit vendu.

Dans l'univers des jeux vidéos, les héroïnes sont conçues pour plaire au regard masculin, vêues de tenues inadaptées à l'action et aux proportions irréalistes. Des personnages comme Lara Croft dans ses premières apparitions ou les femmes dans Grand Theft Auto, reléguées à des rôles de figurantes hypersexualisées, renforcent cette représentation réductrice et sexiste des femmes.

Quelques exemples frappants :

- Megan Fox dans Transformers : Revenge of the Fallen (2009). Dans cette scène, l’actrice est filmée en train de peindre sa moto.

- Sharon Stone dans Basic Instinct (1992) dans cette scène. Le film de Paul Verhoeven, qualifié de “thriller érotique” serait plutôt une incarnation du male gaze. Durant cette scène terrifiante, l’actrice Sharon Stone effectue un croisement de jambes, révélateur de son pubis devant un public d’hommes. Une scène qui aurait pu être tournée différemment et qui porta fortement préjudice à Sharon Stone qui n’était d’ailleurs pas consentante.

- Sanji dans One Piece (1997). Dans ces scènes le personnage est montré en train de fétichiser les femmes et de les objectiviser de manière explicite.

Le male gaze peut se retrouver plus généralement dans toutes forme d'émanation culturelle comme le street art (cf. notre visite guidée Street Art & Féminisme à Paris).

Quelle place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle ?

Bien qu'un réalisateur masculin ne soit pas systématiquement associé au « male gaze », et qu'une réalisatrice ne soit pas nécessairement son opposé, la place et la représentation des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle restent influencées par cette vision sexiste présente dans les médias.

Le Centre National du Cinéma et de l’image animée publie chaque année son Observatoire de l’égalité Femmes - Hommes dans le cinéma et l’audiovisuel. L’édition de 2024 met en évidence une féminisation progressive du secteur, avec un fort rattrapage dans l’animation. Pourtant, 2023 marque un recul sur certains indicateurs, notamment en réalisation de fictions, montrant que le progrès n’est pas linéaire.

Les femmes restent sous-représentées aux postes clés et ont moins accès aux œuvres à gros budget, malgré une réduction des écarts. L’emploi demeure marqué par une répartition genrée des rôles et des inégalités salariales, notamment dans les métiers techniques les plus rémunérateurs. Toutefois, les groupes publics engagés dans des politiques volontaristes et la fiction audiovisuelle présentent une meilleure inclusion. Lorsqu’une femme est à la réalisation, davantage de postes clés sont confiés à des femmes, soulignant l’importance de leur présence pour transformer l’industrie.

Comment évaluer le sexisme d'un film ? Le test de Bechdel.

Pour évaluer le niveau de sexisme d'un film, on peut utiliser le test de Bechdel, créé par la dessinatrice américaine Alison Bechdel. Le principe est simple : le film doit comporter au moins deux femmes nommées (avec un prénom et un nom) qui échangent entre elles et dont la conversation ne porte pas sur un homme. Des règles pourtant simples, mais auxquels certains films cultes tels que The Fellowship of the Ring (Le Seigneur des Anneaux), The Matrix, Star Wars: A New Hope, The Avengers et Pulp Fiction échouent car ils ne comportent pas de scène où deux femmes nommées ont une conversation qui ne porte pas sur un homme.

Qu’en est-il du female gaze ?

Qu'en est-il du female gaze ? Ce concept, également abordé par Laura Mulvey en 1975 dans son article Plaisir visuel et cinéma narratif, s'oppose au male gaze et cherche à redéfinir la place et l'image de la femme dans des domaines tels que le cinéma, la publicité et la littérature.

Le female gaze ne se limite pas à une simple réaction face au male gaze ; il propose plutôt une réinvention, une nouvelle façon de représenter les femmes. Il est défini par la perception du/de la spectateur·rice, qui, de manière inconsciente, ressent un regard différent porté sur les personnages, comme l’a théorisé Joey Soloway, qui parle de "l'expérience féminine vécue".

Plus qu'une question théorique, le female gaze touche à la sensation ressentie vis-à-vis des personnages, qui est influencée par la façon dont ils et elles sont représenté.es à l'écran.

Iris Brey, spécialiste des représentations de genre et des sexualités, et autrice de Le regard féminin, une révolution à l'écran (2020), évoque le "regard généré par le film". Elle propose une grille de lecture en 6 points pour mieux cerner ce female gaze.

“ Il faut narrativement que :

  1. Le personnage principal s'identifie en tant que femme.
  2. L'histoire soit racontée de son point de vue.
  3. Son histoire remette en question l'ordre patriarcal.

Il faut d’un point de vue formel que :

  1. Grâce à la mise en scène, le spectateur ou la spectatrice ressente l’expérience féminine
  2. Si les corps sont érotisés, le geste doit être conscientisé
  3. Le plaisir des spectateurs ne découle pas d’une pulsion scopique (prendre du plaisir en regardant une personne en l’objectifiant, comme un voyeur).

Dans son ouvrage Le regard féminin, Une révolution à l’écran, Iris Brey aborde l'aspect scopophilique (l'attirance ou le plaisir à regarder les autres, souvent de manière voyeuriste), qui est indirectement lié au male gaze et s'oppose au female gaze.

Dans le male gaze, les femmes sont filmées et représentées de manière à exciter le spectateur, leur rôle étant de simplement être observées. En revanche, le female gaze permet de donner une subjectivité au personnage féminin, de vivre l'expérience avec elle et de créer une véritable interaction.

Comment lutter contre le male gaze ?

Lutter contre le male gaze à un niveau personnel commence par prendre conscience des représentations patriarcales des femmes dans les médias. Il est nécessaire de s’interroger si ces images racontent des histoires profondes et pertinentes ou si elles ne servent qu’à réduire les femmes à des objets de désir.

En soutenant les réalisateur.ices/ auteur.ices qui offrent des oeuvres qui mettent la Femme et son expérience de femme à l’honneur, en ouvrant le débat et en rejetant les normes imposées par ce male gaze, nous pouvons amorcer un changement.

C'est une manière de consommer sorore.

Des organisations travaillent activement à la dénonciation du male gaze. Le Greena Davis Institute on Gender in Media, fondé par l’actrice Genna Davis, Feminists Frequency, The Female Gaze Project, ou The Representation Project ont pour but de mener des recherche sur la représentation des femmes dans les milieux cinématographiques et médiates, militant pour la prise de pouvoir créatif des femmes, s'activent pour une plus grande équité de genre dans les studios et sensibilisent le grand public à cette problématique.

👉 Pour aller plus loin, nous parlons de male gaze dans nos visites guidées féministes Feminists in the City. Rejoignez nous !

Références et sources :

Pépite Sexiste (compte Instagram)

Observatoire de l'égalité Femmes - Hommes (édition 2024) CNC

Ouvrages et essais sur le male gaze :

Le regard féminin, une révolution à l’écran (2020), Iris Brey

Fétichisme et curiosité (2019), Laura Mulvey

Sous nos yeux (2021), Iris Brey (autrice) Mirion Malle (illustratrice)

Défaire le discours sexistes dans les médias (2022), Rose Lamy

Trouble dans le genre (1990), Judith Butler

Désirer la violence (2024), Chloé Tibaud

Féminismes et pop culture (2021), Jennifer Padjemi

Oeuvres cinématographiques :

Madame a des envies (1906), Alice Guy-Blaché (Première femme réalisatrice, Premier film female gaze)

L’une chante, l’autre pas (1977) Agnès Varda

Portrait de la jeune fille en feu (2019), Céline Sciamma

Mulholland Drive (2001), David LynchThere’s Still Tomorrow (2023), Paola Cortellesi

Podcasts :

Female gaze, ce que vivent les femmes, podcast Les couilles sur la table #57

Male gaze, ce que voient les hommes, Les couilles sur la table #56 #6