Qui était Marie Laurencin ?
par Cécile Fara, co-fondatrice de Feminists in the City
Née le 31 octobre 1883, Marie Laurencin est une artiste peintre qui a évolué dans les cercles cubistes et fauvistes. Elle a grandi avec sa mère, qui était brodeuse, à Montmartre, et a suivi ses études jusqu’au baccalauréat. Elle a ensuite pris des cours d’art dans diverses institutions, selon les opportunités qui s’offraient à elle : elle prend des cours à l’école de Sèvres pour devenir peintre sur porcelaine, apprend le dessin et la gravure et prend des leçons de peinture florale auprès de Madeleine Lemaire, qui organise des cours dans son hôtel particulier rue de Monceau.
En 1902, elle suit des cours gratuits à l’Académie Humbert, et commence à envisager une carrière de peintre, plutôt que l’artisanat. Très tôt, elle devient son propre modèle, et se perfectionne dans l’art de l’autoportrait. Elle est d’ailleurs représentée dans la plupart des tableaux qui ont fait sa gloire.
En 1907, elle rencontre Apollinaire, qui n'est pas très connu à l'époque. Ils entament une relation et c'est elle qui l'encouragea à continuer d'écrire de la poésie et de la littérature et le fera connaître des cercles qu'elle entretient. En 1908, Marie Laurencin vend le tableau Groupe d'artistes, qui représente, dans l'ordre, Picasso, Marie Laurencin, Apollinaire, Fernande Olivier et Gertrude Stein. Sa relation avec Apollinaire se détériore peu à peu, notamment à cause des excès d'alcool et de violence de celui-ci. Elle réalisera cependant le tableau Apollinaire et ses amis pour lui, en 1909, qu'il gardera après leur rupture en 1913. Sa rupture avec Apollinaire fut pour elle une manière de s'émanciper, car elle commençait déjà à tomber dans l'ombre de son amant. En 1909, le Douanier-Rousseau, qui pourtant était leur ami, avait réalisé le tableau La Muse inspirant le poète, double portrait de Marie Laurencin et de Guillaume Apollinaire. Or Marie Laurencin n'était pas une Muse, mais bien une artiste !
Elle travailla ensuite à créer son propre style, qu'on a appelé le nymphisme. A partir de 1910, la palette de couleurs qu'elle utilise évolue vers des tons pastels, comme le gris, le rose ou encore le bleu. Elle représente surtout des femmes et des animaux, souvent ensemble. A l'époque, elle était accusée de "mièvrerie féminine", mais ne se laissa pas dépasser par les critiques. Elle est alors déjà connue et respectée, vendant des oeuvres à des prix recors, comme Les Jeunes filles, vendue 4,000 francs, ce qui était beaucoup pour l'époque. On na surnomme alors la "nymphe d'Auteuil", quartier où elle a élu domicile.
Elle se maria ensuite avec un allemand et vécut de 1914 à 1919 en Espagne, en Suisse et en Allemagne. Elle ne peut rentrer définitivement en France qu'en 1921, car elle n'était plus la bienvenue en tant qu'épouse d'Allemand. Puis, elle a vécu une passion intense avec Nicole Groult, styliste qui avait ouvert sa propre maison de mode, qu'elle afficha ouvertement. Elle entra ainsi dans le milieu lesbien, où elle fréquenta notamment Gertrude Stein et Alice B. Toklas. Elle devient alors portraitiste et entretient une grande popularité et des relations mondaines dans le Paris des années folles: elle réalise de très nombreux portraits, qui sont pour elle un commerce très lucratif, sans pour autant tomber dans la flatterie de ses sujets.
En 1930, elle participe au salon des Femmes Artistes Modernes aux côtés d’autres grandes artistes de l’époque, comme Suzanne Valadon, dont nous parlons pendant notre visite féministe du musée d’Orsay. Elle reconnaît les difficultés pour les femmes, en comparaison avec les hommes, à devenir artistes. Elle réalise également de nombreux décors pour des ballets et pour le théâtre, et reçoit la Légion d’honneur en 1935. Pendant la guerre, ses œuvres, qui avaient été acquises par l’Etat, échappent à l’autodafé, qui détruira de nombreuses œuvres d’artistes de l’époque cubiste et surréaliste, qui étaient considérés par les Occupants comme dégénérées. Elle est restée à Paris pendant la Guerre, mais dû traverser quelques épreuves notables : son appartement a été réquisitionné et en 1944, elle a été internée dans le camp de Drancy pendant quelques jours, avant d’être relâchée.
Elle termine sa vie avec une santé déclinante, et meurt finalement le 8 juin 1956, à l'âge de 72 ans, d'une crise cardiaque. Elle est alors inhumée au Père Lachaise, portant une robe blanche avec une rose dans sa main et, posées sur son coeur, les lettres d'amour d'Apollinaire.
En 1980, ses collections sont vendues aux enchères à un industriel japonais, Masahiro Takano, qui a ouvert un musée Marie Laurencin en 1983 à Tokyo, musée qui est fermé depuis 2011 mais qui a grandement participé à la gloire posthume de l'artiste auprès des japonais. Après sa mort, elle a été très vite invisibilisée par sa relation avec Apollinaire, qui la fit passer d'artiste à muse. Apollinaire d'ailleurs ne la considérait pas comme son égale, déclarant "elle est heureuse, bonne, spirituelle et elle a tant de talent!" ou encore "C'est un petit soleil: c'est Moi dans la forme féminine". La dernière exposition en date de ses oeuvres a eu lieu au musée Marmottant Monet en 2013.
Questionner la place des femmes dans la culture, transformer les regards sur la ville et la société... telle est la mission de Feminists in the City ! Marie Laurencin fait partie de ces femmes que l'histoire a oubliées et mises de côté depuis des décennies. Venez découvrir d'autres femmes au Père Lachaise lors de la visite féministe du Père Lachaise que Feminists in the City organise.