L'article suivant a été rédigé par Ana Sondéréguer (août 2019) pour Feminists in the City. Ana Sonderéguer nous dévoile le profil de Nancy Spero, artiste féministe des années 70 qui a marqué le mouvement de lutte pour l'égalité entre les genres.
Il semblerait que l’art féministe soit toujours politisé. Cependant, le monde de l’art se crée souvent sa propre sphère éloignée de la réalité sociale qui l’entoure.
Pendant les années 1970, une re-politisation des arts a lieu, puisque la société civile se voit de plus en plus impliquée dans la vie politique (opposition à la guerre du Vietnam, féminisme, pacifisme, luttes LGTB+, contexte post 68, …).
Une figure clé au sein de ces différents mouvements est Nancy Spero, artiste visuelle dont la complexité de ses œuvres et son activisme politique en font une représentante capitale de l’art féministe, des années 1970 à aujourd’hui.
Après des études à l’Institut d’art de Chicago, Nancy Spero développa une pratique qui fait référence à l’être humain, plus particulièrement à la femme, et qui touche toujours à des questions socio-politiques. Impliquée dans la réalité sociale des États-Unis, elle devient militante contre la guerre du Vietnam et féministe aguerrie. Elle intègre en 1969 la Art Workers Coalition et les Women Artists in Revolution, et devient donc une des leaders du mouvement féministe. En 1972, elle co-édite le film “Rip-Off Files” avec Joyce Kozloff, dans lequel elles documentent les pratiques d’embauche sexistes dans les mondes académique et artistique. Cette même année, Spero fait partie des fondatrices de la Artists in Residence Gallery, la première galerie gérée exclusivement par des femmes. Elle se consacre donc à l’organisation de protestations contre les politiques sexistes et les pratiques d’exclusion des musées et du monde de l’art.
Sa première série thématique traite justement de ce sentiment d’exclusion. Nancy Spero vit pendant cinq ans à Paris, ville dans laquelle elle développe les Black Paris Paintings (1959-1966). Ces peintures présentent des figures solitaires et des couples, dans des scénarios reclus à fond noir, dévoilant sa propre isolation en tant qu’artiste femme.
Finalement, c’est justement en raison de son implication dans la vie politique que Nancy Spero décide de réintégrer le politique dans le monde de l’art. Elle finit même par modifier sa propre pratique artistique en 1966, en renonçant au style prédominant dans l’art, la peinture, pour se tourner vers le travail en papier. Il s’agissait de sa façon personnelle de s’opposer à l’établi et de dénoncer la domination d’une pratique sur les autres.
C’est ainsi qu’elle poursuit sa carrière artistique en mélangeant art et politique. Pour ce faire, elle développe des grandes séries thématiques critiques envers la réalité. Tout d’abord, elle crée son œuvre « War Series » (1966-1970), dans laquelle elle intègre des images pris des médias, en leur ajoutant une composante sexuelle (des bombes phalliques), et des fragments de textes qui montrent la violence et la brutalité de la guerre. L’objectif était de dénoncer la guerre comme un pouvoir abusif masculin, afin de mener une réflexion sur les normes et rôles imposés par la société.
Par la suite, elle réalise la série Codex Artaud (1970-1972), dans laquelle elle s’approprie des écrits d’Antonin Artaud, pour développer sa propre parole. Sur des longs parchemins, elle fait dialoguer des figures sexuelles avec la douleur et la violence du poète. Elle expose son propre sentiment d’exclusion dans un monde de l’art majoritairement masculin difficile à intégrer.
À partir de 1974, elle décide de ne représenter dans son œuvre que le corps des femmes. Elle s’engage donc à produire une œuvre centrée sur l’expérience des femmes. De cette façon, elle initia la création d’un lexique de la femme-protagoniste.
-“I think the universal is male, and so in my deliberately turning this around and trying to universalize the female, I tried to challenge myself to look at the world as I wanted to, as a women artist” – Nancy Spero
De ce fait, elle produit en 1976 Torture of Women, œuvre reconnue par elle-même comme sa première œuvre féministe. Composée de fragments de rapports de torture d’Amnesty International (Chili, Uruguay, …) et d’histoires mythiques, l’œuvre exemplifie la violence institutionnelle et les relations de pouvoir. À travers des mythes tels que l’histoire babylonienne du dieu du soleil Marduk qui démembre le corps de la déesse de la mer Tiamat et utilise ses membres pour créer les ciels, Nancy Spero expose une histoire sans temps ni fin de la violence et de l’oppression contre la femme. Une pratique de la violence qui est toujours liée au contrôle sexuel du corps des femmes. Cependant, intercalés avec des scènes de violence, apparaissent des corps de femmes qui ne représentent pas la torture, sinon la résilience. Les survivantes des pratiques historiques.
Nancy Spero a toujours eu une pratique artistique politisée. Ses peintures, dessins et collages, remplis de corps de femmes, dénoncent les rapports de pouvoir entre les individus et les institutions. Son art ne perd jamais son côté politique et ce sentiment de dénonciation qui la motivent, comme nous pouvons le voir dans son engagement à la fin de l’Apartheid (Art Against Apartheid, 1984).
De même, à travers son art, elle souhaitait redéfinir l’image de la femme dans la culture visuelle. C’est ainsi qu’elle décide d’explorer les identités culturelles de la femme pour reprendre le pouvoir mythique et historique qui correspond à certaines figures féminines (Artémise, Ménades, Sheela Na Gig, Athéné, Diana, …). Finalement, elle s’approprie le langage écrit pour développer un dialogue entre texte et image qui lui permet de subvertir la notion prédominante qui existait – et existe toujours – autour de la femme ainsi que pour réécrire l’histoire visuelle en incluant la femme en tant que héros.
Sources :
Meskimmon M. et al. (2007). Wack ! : art and the feminist revolution (exhibition), Los Angeles : Museum of contemporary art.
Burgess D. (2002). Art, women, California 1950-2000 : parallels and intersections. University of California Press.
Exposition Nancy Spero : Paper Mirror (06/10/2018 - 17/02/2019) au Musée Tamayo de la ville de Mexico.