« If we are not intersectional, some of us, the most vulnerable, are going to fall through the cracks. »
Née en 1959 dans l’Ohio, Kimberlé Crenshaw est une professeure d’université, avocate, militante féministe et en faveur des droits humains à l’empreinte exceptionnelle. Nommée « féministe la plus inspirante » de l’année 2015 par le magazine féministe américain Ms. Magazine, l’influence de Kimberlé Crenshaw est hors du commun. Elle co-fonde la Critical Race Theory et crée le concept d’intersectionnalité tout en se démarquant avec un engagement intense à toutes les échelles.
Universitaire, Kimberlé Crenshaw se démarque de par son parcours unique et ses études qui commencent brillamment avec un Bachelor of Arts of Government et Africana, touchant ainsi à l’Afrique mais aussi à la diaspora africaine, à Cornell en 1981.
Pendant son diplôme d’undergraduate dans cette université de la Ivy League, elle est membre de la fameuse Quill and Dragger society, association fondée dans le secret en 1893 qui réunit des étudiant.e.s de Cornell au profil hors du commun. Elle poursuit avec un Juris Doctor en droit (l’équivalent d’un niveau master) à Harvard en 1984 puis complète un LLM (Master of Law ou Legum Magister en latin) à l’Université Wisconsin-Madison l’année suivante.
En 1986 elle devient professeure à la faculté de droit de UCLA (Université de Californie à Los Angeles) et à la Columbia Law School en 1995 où elle fonde le centre d’étude de l’intersectionnalité et des politiques sociales (Center for Intersectionnality and Social Policy Studies).
Sa carrière d’enseignante reste son focus professionnel et elle est élue meilleure professeure de l’année UCLA en 1991 ainsi qu’en 1994. Avocate diplômée et universitaire de renom, ses domaines d’expertise relèvent du droit constitutionnel et des droits humains, notamment les thématiques féministes, d’intersectionnalité et la Critical Race Theory dont elle est l’une des premières fondatrices.
La Criticial Race Theory (surnommée CRT) développe la nécessité d’appliquer la théorie critique de l’École de Francfort, c'est à dire l’analyse de la société en sciences humaines et sociales, aux relations entre la « race », la loi et le pouvoir. En effet, il s’agit de partir du postulat initial que le suprématisme blanc et la hiérarchie qui en découlent se maintiennent grâce aux lois en place et que se détacher de ce pouvoir dit « racial » consisterait en une « émancipation raciale » nécessaire.
Tout-terrain, l’engagement de Kimberlé Crenshaw se distingue avec son apport pointu et éclairé à chaque problématique.
En 1996, elle co-fonde le think thank the African American Policy Forum qui a pour but de challenger les inégalités structurales et de faire avancer significativement les questions de justice ethnique, genrée au nom de l’indivisibilité des droits humains aussi bien aux États-Unis qu’à l’international.
Elle assiste l’équipe, représentant Anita Hill face au Sénat américain alors que cette dernière, également professeure de droit, accuse en 1991 le juge de la Cour Suprême Clarence Thomas de harcèlement sexuel quand il était son superviseur. Ce scandale, inédit pour l’époque, fait d’Anita Hill une icône d’une lutte précoce contre le harcèlement sexuel qui rappelle les récentes accusations contre Brett Kavanaugh formulées par la psychologue et universitaire Christine Blasey Ford.
En 2001, elle rédige les documents à la base de la Conférence des Nations Unies contre le Racisme et s’engage dans le comité contre les violences subies par les femmes de la National Science Foundation. Ainsi, en 2016, lors d’un discours marquant fait à Londres pour Women of the World Festival, Kimberlé Crenshaw aborde la problématique des violences policières subies par les femmes noires. Elle met notamment en avant la campagne #SayHerName incitant à donner le nom des victimes et à braquer les projecteurs sur ces histoires trop souvent balayées.
Kimberlé Crenshaw est, aussi et surtout, reconnue pour sa théorisation et sa promotion de la notion d’intersectionnalité. En effet, son papier « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex : A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics » publié en 1989 dans le University of Chicago Legal Forum pose les bases d’un concept fondamental au militantisme contemporain. Son propos principal est d’énoncer que les expériences vécues par une personne noire et par une femme ne peuvent pas être comprises et analysées comme deux données séparées ou indépendantes. Les expériences d’une femme noire, équivalentes ni à celles d’un homme noir ni à celles d’une femme blanche, sont le résultat d’interactions entre ces deux éléments, souvent renforçant les discriminations respectivement attachées à chaque postulat. Dans cet article fondamental pour le black feminism, elle écrit :
« In every generation and in every intellectual sphere and in every political moment, there have been African American women who have articulated the need to think and talk about race through a lens that looks at gender, or think and talk about feminism through a lens that looks at race. So this is in continuity with that. ».
Plus généralement, l’intersectionnalité est définie comme l’interaction entre différentes caractéristiques de genre, d’ethnie, de sexualité, etc.. Kimberlé Crenshaw considère que l’intersectionnalité pourrait devenir un outil pertinent pour pointer du doigt les dynamiques discriminatoires persistantes dans tous les domaines de la société, la justice, la politique etc..
Il s’agit de modeler un système réellement égalitaire et de se débarrasser de tous les reliquats de discrimination structurale. Aussi bien un outil d’observation, d’analyse que d’action, l’intersectionnalité a su trouver sa place dans le monde universitaire et militant et le concept est devenu mainstream en 2015 en rentrant dans le Oxford English Dictionary.
La notion d’intersectionnalité, constamment dans l’actualité et loin d’être un concept universitaire obscur, prouve toute sa pertinence quand on observe les critiques virulentes et les réactions outragées qu’elle suscite. On peut ainsi citer le journaliste, avocat et personnage politique conservateur influent Ben Shapiro qui s’interrogeait il y a quelques semaines : « Is intersectionnality the biggest problem in America ? » et qualifiait l’intersectionnalité de « really dangerous » et de « stupid ». Ainsi, si personne ne reste insensible face au concept d’intersectionnalité c’est bien parce qu’il touche aux racines même de notre société.