Histoire de l'hystérie, cette excuse pour contrôler les femmes
par Elise Lambin, rédactrice Feminists in the City
L’hystérie, aussi appelée “maladie de l’utérus”, a longtemps été diagnostiquée comme une névrose chez des femmes dont les comportements ne correspondaient pas à ce que la société patriarcale attendait d’elles.
Lors de notre Masterclass sur l’histoire de l’orgasme féminin, Jeanne de Barthès nous a expliqué cette “maladie” plus en détail. Jeanne est autrice d’un mémoire de recherche sur l’histoire de l’orgasme féminin et sur l’expérience du plaisir sexuel des femmes, qu’elle a écrit au cours de ses études de sociologie à l’Université de Bath. Dans cette Masterclass en ligne, elle est revenue - entre autres - sur ce qu’est l’hystérie et comment cette prétendue maladie a marqué et marque encore la perception de la sexualité féminine. On vous raconte !
Qu'est-ce que l'hystérie ?
On doit ce terme à Hippocrate, père fondateur de la médecine vivant dans la Grèce antique. Il choisit le mot “hystérie”, utérus en grec, pour désigner ce qu’un papyrus égyptien avait identifié comme des comportements étranges qui touchent spécifiquement les femmes. L’idée d’une “maladie de l’utérus” expliquant les maux de la gent féminine va traverser les siècles. Au Moyen-Âge, cette maladie est perçue comme diabolique et on préconise l’exorcisme comme traitement. Malgré les tentatives de scientifiques, comme Charcot, de démontrer une hystérie chez les hommes, cette maladie reste fortement liée à la féminité. Au XIXe siècle, on parle même d’ “hystériques nerveuses” pour désigner ces femmes et on se met à interpréter le moindre symptôme ou comportement déviant comme un signe d’hystérie.
Jeanne de Barthès en fait la liste dans sa Masterclass : désir sexuel, sécrétions vaginales « disproportionnées », stress, manque de sommeil, souffle court, irritabilité ou encore perte d’appétit... Toutes ces raisons sont bonnes pour diagnostiquer une femme “hystérique”. On dit même que « les femmes hystériques ont tendance à semer le trouble ». C’est une excuse pour contrôler les femmes qui se rebellent contre leur condition. Virginia Woolf et certaines suffragettes britanniques seront diagnostiqué hystériques. Dans Marie Claire, la critique féministe américaine Elaine Showalter, autrice de l'essai Hysteria, Feminism, and Gender, commente, en parlant de l’hystérie :
“À une époque où la culture patriarcale se sentait attaquée par ces filles rebelles, la défense consistait évidemment à qualifier les femmes faisant campagne pour l'accès à l'université, à la sphère professionnelle et au vote, d'être atteintes de troubles mentaux.”
Soigner l'hystérie
Nombreux sont les scientifiques qui ont travaillé sur la question de l’hystérie afin de comprendre la maladie et d’y apporter un traitement.
C’est le cas notamment d’Isaac Baker Brown, le président de la British medical society. Comme d'autres médecins, il recommande une ablation du clitoris. Selon lui, cette clitoridectomie permettrait de soigner l’hystérie mais aussi l’épilepsie ou encore l’homosexualité qu’il qualifie de “formes de folie féminines”. Cette procédure se fait alors avec l’accord du père ou du mari. L’ablation comme traitement sera utilisée jusqu’aux années 60.
Sigmund Freud a également proposé sa théorie sur l’hystérie. Ses travaux sur la sexualité auront une influence capitale sur notre vision du plaisir féminin. Selon lui, les femmes vivent dans une sorte de frustration due à leur absence de pénis. Elle se contenterait du clitoris pendant l’enfance avant de découvrir le phallus. Il maintient que les femmes doivent renoncer à l’orgasme clitoridien, qu’il juge immature, et accéder à l’orgasme vaginal afin de devenir adulte. Si elles n’y parviennent pas, elles risquent alors, selon lui, de devenir hystériques. Contrairement aux autres travaux sur le sujet, la théorie de Freud ne se fonde pas sur l’utérus, mais sur le psychisme de ces patientes qui utiliseraient leur corps pour exprimer ce qu'elles ne peuvent formuler avec la parole.
L'hystérie aujourd'hui
L’hystérie a été officiellement retirée de la classification internationale des maladies en 1952.
Toutefois, le terme persiste et est devenu aujourd’hui une insulte sexiste dont les femmes font l’objet lorsque leurs comportements ne correspondent pas aux attentes de la société. C’est le cas d’Alice Coffin, qualifiée d'”hystérique" par le journal Valeurs Actuelles alors qu’elle dénonçait les violences sexistes et sexuelles.
Pour certain·es, le caractère sexiste du terme est une raison valable pour le bannir. Simone de Beauvoir le dénonçait dans les années 70, dans l’émission Questionnaire. Elle disait :
"Nous avons commencé à parler de sexisme au sujet des insultes que les hommes déversent volontiers sur les femmes. Quand on dit d’une femme qu’elle est une "hystérique, comme toutes les bonnes femmes", il n’y a pas de recours [juridiques]".
Pour d’autres, il faudrait se réapproprier ce terme et transformer le sens péjoratif en quelque chose de positif. C’est notre cas, chez Feminists in the City. Nous avons nommé notre visite guidée dans le 18ème arrondissement de Paris “La libération sexuelle contée par des hystériques”. C’est une façon de nous réapproprier cette insulte et d'embrasser sa signification qui aujourd’hui est davantage utilisée pour désigner des femmes qui n’ont pas peur de défier le patriarcat.
Inspiration/sources
- Jeanne de Barthès, “Masterclass : Histoire de l’orgasme féminin”, Feminists in the City, 2 mai 2021
- Charlotte Arce, “L'hystérie, la démence... pour accabler les femmes, toutes sortes de maladies ridicules ont été inventées dans le passé”. HuffPost, 2015. Lien : https://www.huffingtonpost.fr/2015/04/04/hysterie-demence-accabler-femmes-maladies-ridicules_n_7000090.html
- Alexandra Pizzuto, “Pourquoi bannir le mot "hystérie" de notre vocabulaire servirait la cause des femmes”. Marie Claire, 2020. Lien : https://www.marieclaire.fr/hysterie-hysterique,1357752.asp
- La rédaction, “Hystérie : une histoire de femmes ?”. Allô Docteurs, 2018. Lien : https://www.allodocteurs.fr/se-soigner/histoire-de-la-medecine/hysterie-une-histoire-de-femmes_24855.html