Cinq femmes féministes du monde arabe
par Constance Mousseaux, rédactrice pour Feminists in the City
Avant de vous faire découvrir en détails les mouvements féministes du Maghreb lors d'une Masterclass en ligne, nous avons souhaité vous présenter en avant-première cinq femmes ayant marqué ces courants dans le monde arabe. Les revendications ne sont pas toujours les mêmes d’un pays à l’autre : par exemple, tous les mouvements féministes n’entretiennent pas le même rapport à la religion islamique. Cependant, ces cinq femmes se sont illustrées, chacune dans leur pays respectif, dans la lutte pour l’amélioration de la condition féminine.
1. Maroc : Malika El Fassi (1919-2007)
Née au lendemain de la Première Guerre mondiale, Malika El Fassi a reçu la même éducation que ses deux frères grâce à son père, qui y tenait beaucoup. Elle bénéficie donc de l’enseignement de précepteurs dans des disciplines variées, aussi bien littéraires que sportives. Ainsi, elle commence très tôt à écrire des articles, des romans et des pièces de théâtre, qui sont respectivement publiés et jouées en utilisant des pseudonymes.
Elle rejoint le mouvement nationaliste marocain en 1937 et contribue à la rédaction du Manifeste de l’Indépendance. Malika El Fassi le signe en janvier 1944 et devient par là la seule femme signataire du texte, parmi 66 personnes au total ! À la même période, et lorsque ses compagnons sont emprisonnés, elle prend la direction de la Résistance et de l’Action Féminine.
Elle milite également pour les droits des femmes et en particulier en faveur de ceux des jeunes filles. Elle lutte pour leur scolarisation, et contre l’analphabétisme. En 1947, elle ouvre à l’université de la Qaraouiyine, avec son mari qui en est alors directeur, une section filles !
Après l’indépendance en 1955, elle présente à Mohammed V, le roi du Maroc, une motion pour le vote des femmes, qui est adoptée en 1963. Ainsi, d’abord engagée pour l’indépendance des femmes au Maroc à travers l’écriture, elle s’est illustrée par de nombreuses actions concrètes et a été décorée à de nombreuses reprises.
2. Égypte : Zaynab al-Ghazali (1917-2005)
Zaynab al-Ghazali est élevée par un père très religieux. Il l’encourage à devenir une dirigeante islamique en évoquant un exemple issu du Coran, celui de Nusaybah bin Ka’a, qui a combattu lors de la bataille de Uhud.
Adolescente, elle rejoint brièvement l’Union féministe égyptienne. Pour elle, l’islam a donné des droits aux femmes au sein de la famille. C’est pourquoi, à 18 ans, elle crée l’Association des femmes musulmanes. Ce groupe rejette le nationalisme et le caractère semi-laïc et est très proche des Frères musulmans. Elle refuse cependant la fusion avec ces derniers, car elle tient à conserver de l’autonomie. Elle fut emprisonnée et torturée en raison de ses actions en 1965, une expérience qui dura six ans et qu’elle raconte dans un livre intitulé Le Retour du Pharaon.
Jusqu’à son interdiction en 1964, l’Association des femmes musulmanes développe de nombreuses activités: elle publie un magazine, dispenser gratuitement des cours pour les femmes, dirige un orphelinat et intervient en tant que médiatrice lors de conflits familiaux.
La position de Zaynab al-Ghazali a été remise en question par des chercheur.se.s : elle explique que les femmes doivent remplir leur rôle d’épouse et de mère, mais elle-même n’a jamais eu d’enfants. A ces questionnements, elle a répondu que le fait de ne pas avoir d’enfants lui avait permis de s’investir dans la vie publique.
3. Arabie saoudite : Aziza al-Youssef(née en 1957)
Aziza al-Youssef est une professeure d’informatique à la retraite, ayant exercé à l’Université du Roi-Saoud, première université d’Arabie saoudite. Elle milite en faveur des droits des femmes dans son pays, et se rapproche du mouvement du féminisme musulman.
Ce courant, aussi appelé féminisme islamique, se rapproche de l’islam libéral et revendique un féminisme interne à l’islam. Son but est d’obtenir une modification des rapports entre hommes et femmes au sein de la religion musulmane. Il se fonde sur une études des textes sacrés pour affirmer l’égalité femmes-hommes.
En mai 2018, elle fait partie des onze femmes emprisonnées pour avoir défendu le droit des femmes à conduire ou s’étant opposées à l’obligation d’une permission d’un parent masculin pour de nombreuses démarches, ce qui fut considéré comme une atteinte aux intérêts nationaux et une aide aux ennemis de l’État. Plusieurs d’entre elles auraient subi des tortures, selon Human Rights Watch et Amnesty International. Aziza al-Youssef et deux autres sont libérées en 2019.
4. Algérie : Mamia Chentouf (1922-2012)
Née dans les années 1920 d’une famille paysanne aisée, Mamia Chentouf est une militante de l’indépendance algérienne.
À la fin des années 1940, elle se marie avec Abderrezak Chentouf, membre du Parti du peuple algérien, et du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques. Membre du Front de libération nationale (FLN) durant la guerre d’Algérie, elle fonde en 1947 avec deux autres femmes l’association des femmes musulmanes algériennes, la première association féminine d’Algérie. Il s’agit d’un groupe de combattantes indépendantistes.
L’association répond à deux objectifs : d’une part, convaincre les femmes algériennes de soutenir les groupes indépendantistes, et d’autre part de fournir un soutien financier aux femmes dont les époux ont été arrêtés et détenus à cause de leur engagement politique. Elle a elle-même été exilée, arrêtée, et a fui à Tunis dans les années 1950.
Elle fait également partie du groupe fondateur de la Société du Croissant-Rouge algérien (équivalent de la Croix-Rouge). Une fois l’indépendance acquise, elle prend la place de Présidente de l’Union nationale des femmes algériennes. Frustrée de ne pouvoir changer le code de la famille pour interdire la polygamie, elle prend sa retraite de la politique à la fin des années 1960.
5. Égypte : Doria Shafik (1908-1975)
Au décès de sa mère et à seulement 13 ans, Doria Shafik rejoint une école missionnaire française à Alexandrie. Trois ans plus tard, elle est la plus jeune égyptienne à obtenir le bac français ! Grâce à une bourse d’étude du Ministère égyptien de l'Éducation, elle poursuit ses études en France, à la Sorbonne, où elle décroche un doctorat en philosophie.
Elle revient en Égypte en 1940, avec l’ambition de contribuer à l’éducation de la jeunesse de son pays. Le doyen de la faculté de lettres du Caire ne lui accorde pas de poste sous prétexte qu’elle est « trop moderne ». Cependant, en 1945, elle se voit proposer la position de rédactrice en chef du magazine culturel et littéraire La Femme Nouvelle. Deux ans plus tard, elle en prend la direction complète, et gère également son financement. Grâce à elle, le magazine obtient une portée régionale. Elle publie d’autres magazines, destinés à éduquer les égyptiennes, en les aidant à avoir le rôle le plus efficace possible, que ce soit dans leur famille ou dans la société.
Elle est surtout l’une des principales meneuses du mouvement de libération des femmes en Égypte. En 1951, elle rassemble secrètement 1500 femmes pour organiser une marche et faire irruption au parlement (exclusivement constitué d’hommes) pour y déposer une série de demandes liées aux droits socio-économiques des femmes. Notamment grâce à ces actions, le droit de vote des Egyptiennes est obtenu en 1956 !