bell hooks : portrait d'une militante
par Molly Marchand, rédactrice Feminists in the City
"Simply put, Feminism is a movement to end sexism, sexist exploitation and oppression" - bell hooks, Feminism is For Everybody (2000)
Gloria Jean Watkins, plus connue sous son nom de plume bell hooks, est une professeure et autrice féministe américaine. Née le 25 septembre 1952 à Hopkinsville dans le Kentucky, aux Etats-Unis, elle grandit dans une famille nombreuse issue de la classe populaire. Elle étudie d’abord dans des écoles publiques soumises à la ségrégation, qui ne fut abolie qu’à partir des années 60 aux Etats-Unis, puis dans une école d’intégration raciale, où elle se retrouva avec une majorité de camarades et de professeur.e.s blanc.he.s et rencontra des difficultés à s’intégrer. Ainsi, très jeune, elle se heurte au racisme, dans une société marquée par près d’un siècle de ségrégation raciale.
Elle obtient sa licence d’anglais à l’université de Stanford puis son master, dans la même discipline, à l’université du Wisconsin en 1976. La même année, Gloria Jean Watkins enseigne l’anglais à l’Université de Californie du Sud. Elle commence à publier des écrits, articles et ouvrages, dont l'un des plus célèbres demeure Ain’t I a Woman ? Black women and feminism. Publié pour la première fois en 1981, ce texte propose une analyse des relations entre les différentes formes d’oppression et de leur impact sur les femmes noires dans l’histoire. Il offre également une meilleure compréhension de l’implication de ces dernières pour le mouvement féministe. Le titre est directement inspiré d'un fameux discours prononcé par Sojourner Truth lors de la convention des droits de la femme de 1851. Cette abolitionniste et défenseuse des droits des femmes africaines-américaines a vécu au XIXème siècle.
Quelques années plus tard, en 1983, bell hooks achève son doctorat en littérature à l’Université de Californie de Santa-Cruz. Sa carrière de professeure se diversifie, elle travaille notamment pour le département d’African-American Studies à l’université de Yale et pour celui de littérature de l’Oberlin College. En 2014, elle fonde le bell hooks Institute, qui, dans la lignée de ses réflexions, cherche à "promouvoir la cause souhaitant mettre fin à la domination en comprenant la manière dont les systèmes d’exploitation et d’oppression se croisent à travers la pensée, l’enseignement, les évènements et les conversations"1. Elle invite régulièrement des militant·e·s, autrices et auteurs engagé·e·s, au sein de cet Institut et organise également des séminaires dans plusieurs établissements d’études supérieures américains sur ses sujets de prédilection.
L’écrivaine crée son nom de plume à partir du nom de son arrière-grand-mère maternelle, Bell Blair Hooks, qu’elle admire. En utilisant délibérément des minuscules pour ses initiales, elle souhaite mettre en avant ses travaux plutôt que sa personne. Elle a publié une trentaine de textes, s’intéressant particulièrement à la théorie féministe, au racisme, mais également à la masculinité. Dans ses nombreux écrits engagés mais également dans ses activités militantes, bell hooks s’est inspirée de plusieurs personnalités et intellectuel.le.s célèbres, principalement des figures des luttes pour l’abolition des ségrégations telles que Martin Luther King et Malcolm X, mais également des féministes à l’image de Sojourner Truth.
Résolument engagée dans la lutte pour l’égalité entre les genres et les droits des femmes, elle s’intéresse à l’aspect intersectionnel que peut prendre le féminisme. Bien que précurseuse, puisque l’intersectionnalité ne sera véritablement théorisée qu’à partir des années 1990, grâce à Kimberlé Crenshaw, bell hooks évoque déjà dans ses écrits du début des années 80, notamment dans Ain’t I a Woman? Black women and feminism, "l’interconnectivité des oppressions de sexe, de race et de classe"2, cherchant à expliquer les mécanismes de constructions communes de ces catégories.
Si pour elle, la domination du monde par les hommes se fait sur toutes les femmes, il subsiste des inégalités frappantes entre les femmes blanches et les femmes noires, et entre les femmes des classes aisées et les femmes des classes défavorisées. Pour bell hooks, genre mais également race et classe sont donc des notions fondamentales qu’il convient de dépasser lorsqu’on cherche à construire une communauté égalitaire. Dans son ouvrage fondateur pour la théorie féministe, Feminist Theory : From Margin to Center, publié en 1984, elle écrit: “Les femmes des classes inférieures et pauvres, particulièrement celles qui ne sont pas blanches, n’ont pas définit la libération des femmes comme la victoire de leur égalité avec les hommes dans la société, puisqu’on leur rappelle constamment, dans leur vie quotidienne, que toutes les femmes ne partage pas un statut social commun.” 3 Elle considère ainsi que les mouvements féministes de son époque manquent d’inclusivité et de diversité. Ce faisant, elle amorce les questionnements centraux de ce qui deviendra la troisième vague féministe, en particulier la prise en compte de l’intersection des différentes formes d’oppression.
Sa recherche d’une pluralité d’engagements et de voix dans le féminisme s’étend aux hommes, qu’elle cherche à inclure dans le combat pour l’égalité entre les genres. Elle exprime cette idée en particulier dans son livre Feminism Is For Everybody, qu’elle présente comme un “court manuel” à destination “des hommes, jeunes et vieux, et de nous tou.te.s”, qu’elle a écrit car elle n’a jamais réussi à le trouver, malgré vingt ans de recherches4.
Sensible à la notion d’engagement et de solidarité, elle applique cette idée à celle de la sororité. Celle-ci ne doit donc pas se baser sur une victimisation commune mais bien sur une volonté de constituer un groupe politique prêt à affirmer ses revendications. Elle développe une théorie autour de l’amour et de l’empathie comme éléments clés de la lutte féministe, qu’elle exprime notamment dans son livre All about love, publié en 2000. En effet, selon elle, le manque d’entraide, de compréhension mutuelle, de tolérance, et a fortiori, d’amour, sont tout autant d’éléments qui vont favoriser la perpétuation de la société patriarcale. Ce point de vue résonne particulièrement au coeur de l’équipe Feminists in the City, car nous travaillons et avançons chaque jour dans un esprit d’entraide et de sororité.
Sources :
(1) BELL HOOKS INSTITUTE. About the bell hooks institute. Disponibleici.
(2) BELL HOOKS (1981) Ain’t I a Woman ? Black women and feminism
(3) BELL HOOKS (1984) Feminism Theory : From Margin to Center
(4) BELL HOOKS (2000) Feminism Is For Everybody
Pour aller plus loin :